Discours de politique générale – 25 juin 2025

Published On: 16 juillet 2025Views: 27

Gael Briand porte le discours de politique générale du groupe Breizh a-gleiz

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Monsieur le Président, chers collègues, 

 

Connaissez-vous Sten Kidna ? Dans Le Peuple breton de juillet 1976, il signait un article intitulé « le mot qui fait peur ». Et quel était ce mot ? Autonomie. Près de 50 ans plus tard, les choses ont si peu changé… « Pour l’immense majorité de nos compatriotes, écrivait-il, tout ce qui est juste et bénéfique ailleurs, est chez nous incongru, inutile, nocif, sinon criminel ou traître. Autonomie, il ne s’agit pourtant que de donner à un territoire donné des instances qui lui soient propres. (…) Se gouverner soi-même ? Question saugrenue, nous n’en sommes pas capables, nous avons besoin de l’Autre, d’une référence ». Le poète – car il le fut aussi – estimait que notre peuple avait perdu toute confiance en lui, qu’il était devenu « hostile à lui-même ». 

 

Dans la même veine, le chercheur corse Romain Colonna parle d’« auto-odi », la haine de soi, qui conduit notamment les locuteurs à abandonner de façon radicale et définitive leur langue et sa transmission, parfois même leurs origines. Cela ne vous fait penser à rien ? Quand on inculque à un peuple l’idée qu’il ne vaut rien, on le brise. Aujourd’hui encore, le peuple breton a bien du mal à s’extraire de la condition dans laquelle on a voulu l’enfermer. 

 

Bien souvent, il pense même encore contre lui-même ! Mon dernier exemple date de lundi dernier : un camarade rencontrait alors les responsables du Festival Interceltique de Lorient au nom de l’association Bretagne Réunie qui défile durant la Grande Parade depuis 2017. Cette année, cela leur serait refusé… La réunification administrative de la Bretagne ? Un sujet « trop politique » ! La défense et même la promotion de la culture bretonne, de notre histoire collective, ne serait donc pas politique ? Qu’est-elle dans ce cas ? Folklorique ? Commerciale ? Défend-t-on une culture administrative ? C’est parfois notre sentiment dans cette instance, malgré les vœux répétés depuis plus de 15 ans. 

 

Que reste-t-il de notre groupe de travail sur l’autonomie ? Un énième rapport et ce Versement Mobilités Régional et Rural que nous allons évoquer durant la session. Mais une fois cette capacité fiscale obtenue, on abandonnerait l’ambition d’une réelle décentralisation, d’une réorganisation de l’action publique globale ? Depuis 2004, je ne compte plus les rapports sur ce thème, ni les vœux pour la réunification. Nous avons sans doute le sentiment d’avancer, mais je rappellerai simplement que quand Ronan Leprohon est devenu le premier élu autonomiste de France, en 1977, il fit voter un vœu reconnaissant l’existence du peuple breton ! Un tel vœu passerait-il aujourd’hui dans notre assemblée ? J’ai presque envie d’essayer en octobre prochain… 

 

Oh, je ne prétends pas que notre assemblée soit contre l’autonomie. Nous avons sur tous les bancs des convaincus, la récente tribune de notre collègue Yvan Le Moullec dans le Télégramme en témoigne. Ni même contre la réunification même s’il faut avouer que nos esprits se moulent trop souvent sur les administrations. Mais qu’attendons-nous au juste ? D’ul louarn kousket ne zeu tamm boued, dit le dicton. A renard endormi ne vient aucune nourriture. Pourquoi sommes-nous aussi passifs ? « On ne touchera plus aux périmètres administratifs des régions », affirmait Carole Delga à l’association des Régions de France il y a plus d’un an. Avons-nous réagi ? Non. C’est comme si nous n’y croyions pas/plus : nous défendons mollement nos droits, par tradition plus que par conviction. Autonomiste, régionaliste, bof, tout ceci est du pareil au même. À un pouvoir législatif près quand même ! 

 

C’est ce qui fait toute la différence pourtant. Le pouvoir de décision. Son éloignement est la source de la plupart des frustrations politiques, son absence la genèse de toutes les colères ! L’acceptabilité sociale dépend souvent de la légitimité ressentie du pouvoir. C’est valable pour les éoliennes quand les principaux concernés estiment ne pas avoir le droit au chapitre, c’est valable aussi pour l’identité bretonne. Jugez plutôt : nous avons une culture vivante, créative, populaire, une production littéraire et musicale riche et variée, mais nous manquons d’outils pour la diffuser, la transmettre à qui s’en saisirait. Or, ces outils existent pour la culture française. Nous ne jouons donc pas dans la même cour et cela génère un fort sentiment d’injustice. La liquidation récente de Coop Breizh ne risque pas d’améliorer ce triste constat. Non content d’y laisser des plumes financièrement, des dizaines d’éditeurs cherchent en ce moment même le moyen de récupérer leurs stocks auprès du liquidateur qui vient de leur annoncer qu’il fallait les réclamer avant ! Il fallait donc savoir avant la liquidation que Coop Breizh était liquidé ! Là encore, notre assemblée devra réagir sous peine de voir disparaître des noms historiques de l’édition en Bretagne… 

 

De leur côté, parce qu’ils chantent en breton ou en gallo parfois, nos artistes sont peu, pour ne pas dire pas, diffusés sur les radios de service public et se retrouvent donc exclus d’une manne financière, les droits SACEM, qui leur permettrait de réinvestir dans de nouvelles créations. Le dénonçons-nous ? Non. La culture dominante devient la norme et nous pensons seulement dans les marges. On nous y a poussé et nous avons intériorisé que c’était là notre place. Nous sommes « à l’ouest » comme on dit. Même géographiquement, nous ne nous pensons pas là où nous vivons : en Bretagne ! 

 

Donc ne nous trompons pas : avant de manquer d’argent, nous manquons du pouvoir de décider nous-mêmes de ce qui nous regarde nous ! Est-il acceptable que l’avenir de nos langues se joue à Paris, dans un lieu où on ne les parle pas ? Nous devrions, en plus, nous excuser de vouloir transmettre notre héritage ? Mais pour qui se prennent-ils donc ces accapareurs ? Nous voulons le partage, et à commencer par le partage du pouvoir de décider. Une idée qui devrait parler à gauche, du moins celle qui refuse l’autoritarisme ! 

 

Que nous manque-t-il donc pour que nous poussions ce cri, celui que Morvan Lebesque définissait comme « l’éternel cri des peuples adultes » : nous-mêmes ! Ni hon unan. Sinn Fein. Que nous manque-t-il si ce n’est le Droit ? La reconnaissance qu’apporte le Droit. Je ne cesse de le répéter ici, mais être Breton est aujourd’hui une vue de l’esprit du point de vue de la loi. La loi est française et elle ne peut donc être bretonne. L’existence même du peuple breton n’étant inscrite nulle part, nous ne sommes bretons que parce que nous revendiquons de l’être. C’est justement ce qui fit le succès de cette préface de Morvan Lebesque : La découverte ou l’ignorance. 

 

Hélas, les Bretons restent dans l’ignorance. Sourds, muets. Ils donnent raison à ceux qui les moquaient. Bécassines sans bouche. Va c’henvroiz ’zo kousket. Hag hor Bro o veuziñ… écrivait déjà Anjela Duval. Mes compatriotes dorment. Et notre pays coule… Pour se disculper, ils s’en réfèrent au passé : « Vous savez, ma grand-mère parlait breton ». Fort bien, la mienne non et ça ne m’a pas empêché de l’apprendre ! Pour certains, la frustration a fait pousser des ailes, pour d’autres, ce passé traumatisant est bien pratique pour justifier de leur inaction. « Vous savez, j’ai mis mes enfants en bilingue ». Fort bien et vous-mêmes ? Vous faites donc porter à vos enfants vos propres projets sans les accompagner ? C’est voué à l’échec ! Car c’est bien la transmission familiale qu’il faut chercher à reconstituer. 

 

Être autonome, c’est d’abord un état d’esprit. C’est chercher à faire soi-même plutôt que de dépendre des autres. C’est par exemple développer son esprit critique face aux géants du numérique, c’est construire une filière lin-chanvre quand la production est ici, mais qu’elle est exportée pour être transformée, c’est imaginer nos propres outils pour ne pas dépendre de ceux des autres ! 

 

Or, le constat est sans appel : nous vivons une ère de grand démantèlement. Les néolibéraux ont détricoté pendant plusieurs décennies, désormais l’heure est aux libertariens qui ne veulent plus de règles du tout si ce n’est celle du plus fort. L’escalade militaire de ces derniers mois, en Palestine, en Iran, en Inde et au Pakistan, sans parler bien sûr du conflit russo-ukrainien est un retour de l’ordre ancien, avant que nous nous dotions d’outils de régulation, ceux qui doivent protéger les plus faibles. Que sont devenus l’ONU et le droit international ? Là encore, une pensée autonome européenne sera nécessaire pour faire face aux grands blocs qui se moquent bien de nos prétendues « valeurs ». Incapable de respecter leurs minorités dans leur propre pays, mais faisant la leçon au monde entier ! La France est contre la peine de mort, mais se positionne en seconde position des fabricants et exportateurs d’armes au monde. On délègue ! La realpolitik n’empêchera jamais la pensée évidente : si on limite et contrôle la production d’armes, on réduit les risques de guerre ou du moins leur impact. A quoi sert de manifester contre les guerres si on laisse les industriels produire ce qui les rend meurtrières ? Combat de pouces ! Il est trop tard quand une guerre est en cours pour jouer les pacifistes, mais on nous avait promis la « der et der » et « plus jamais ça » il y a déjà fort longtemps. Plus personne n’y croit désormais. 

 

Face à toute la misère du monde, parler de ses petits bobos peut paraître indécent, j’en conviens parfaitement. Mais l’autonomie est un principe universel. La plupart des maux de la planète sont le fait de politique mal pensée, de sujets mal posés. Et d’un racisme latent qui considère que certains peuples priment sur d’autres… 

 

J’ai commencé par un poète, je termine par un autre, Paol Keineg, qui écrivait dans son œuvre de jeunesse : 

Nous sommes un peuple 

de rien 

et nous avons faim 

 

Oui, nous avons faim : de justice et de liberté ! La clef, c’est le respect. Nous ne nous battons pas pour des privilèges, mais pour être invités au concert des peuples du monde, qui bien plus nombreux que les 200 États reconnus. L’autonomie permet de mêler sa langue, sa voix, aux autres. Ça n’a rien d’un combat local, c’est une aspiration universelle de tous les peuples. 

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