Discours de politique générale

Discours de politique générale – 26 mars

Published On: 25 avril 2025Views: 13

Aziliz Gouez porte le discours de politique générale du groupe Breizh a-gleiz

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Chers collègues,

Je voudrais commencer par évoquer trois images qui ont récemment saisi nos consciences collectives, toutes trois surgies d’Outre Atlantique : un salut nazi, une tronçonneuse et une humiliation publique.

La première scène s’est produite le 20 janvier lors de l’investiture présidentielle, quand Elon Musk a levé le bras droit, en un geste qui a été largement interprété comme un salut romain.

La seconde scène a eu lieu un mois plus tard, le 20 février, lorsque le même Elon Musk a fait une apparition surprise à la CPAC, la grand-messe des conservateurs américains, pour y brandir une tronçonneuse, cadeau de l’Argentin Javier Milei : passée telle un bâton de relai entre deux leaders libertariens pour poursuivre le grand élagage de la bureaucratie publique, l’instrument a ensuite fait son chemin comme photo de profit sur X, assortie du titre « The DOGEfather », qui n’est pas simple référence au « Godfather » du cinéma (la figure mafieuse du « parrain »), mais aussi l’acronyme du nouveau Ministère de l’efficacité gouvernementale, ainsi que celui de la Dogecoin, une cryptomonnaie dont le cours s’est envolé à l’arrivée de Musk à la Maison Blanche.

Quant à la troisième scène, intervenue le 28 février dans le bureau ovale, elle a vu l’exécution d’un sacrifice d’une extrême perversité, lorsque le Président Trump, le Vice-Président Vance et une petite meute de journalistes courtisans se sont ligués pour changer Volodymyr Zelenski, Président d’un pays agressé, en une figure d’agresseur, de raté et d’ingrat.

Pourquoi évoquer ici ces images ? Parce qu’elles sont éclairantes, je pense, sur la nature des dangers qui guettent la vie démocratique contemporaine. Elles mettent au jour la puissance de technologies d’information qui remodèlent radicalement la façon dont nous percevons la réalité, créant des états altérés en permanence par la captation algorithmique de l’attention, la prolifération des récits et des fantasmes, et la dissolution de tout point fixe, de tout référentiel de vérité commun.

Ce nouveau régime de réalité a été qualifié « d’hypnocratie » par le philosophe hongkongais Jianwei Xun. Selon Xun, nous vivons une transformation plus profonde que ce quiest généralement compris par la dénonciation des fake news : les plateformes numériques ne sont pas de simples outils de communication mais des technologies hypnotiques qui permettent au pouvoir d’opérer directement – algorithmiquement – par la modulation des états de conscience et la déstabilisation constante de tout effort pour restaurer un cadre interprétatif commun.

L’ambiguïté du geste de Musk est une parfaite illustration du mécanisme de l’hypnocratie, qui transforme la controverse elle-même en « piège de sens », où chaque tentative pour établir une interprétation définitive renforce le pouvoir hypnotique. En tant qu’image virale, ce geste opère comme ce que Xun appelle un « séparateur de réalité », creusant des univers interprétatifs parallèles et renvoyant les observateurs à leurs affiliations préexistantes.

Plus largement, on sait que l’Amérique est aujourd’hui divisée entre un camp MAGA, qui voit en Trump le prophète revenu les venger avec une colère encore plus extrême qu’en 2016, et une opinion démocrate qui le voit comme un monstre. Il n’est évidemment pas anodin que le Vice-Président Vance soit un disciple revendiqué de l’anthropologue René Girard, pour qui la violence qui déchire la société est le fruit de la rivalité mimétique entre ses membres, le fait que je désire toujours ce que désire l’autre. JD Vance a expliqué tout ce qu’il devait à Girard : une certaine idée de la colère, de la violence et du désir de revanche – celui des Hillbillies (les ploucs) des Appalaches vis-à-vis de l’élite wokiste de Washington. Et nous ne devons pas sous-estimer la puissance de propagation de cette nouvelle grammaire – ou plutôt de cette nouvelle geste – politique. Partout, la jubilation de la destruction, de l’outrance décomplexée, fait des émules. A cet égard, il n’est pas fortuit que la tronçonneuse se soit retrouvée à la Une d’un grand quotidien national, entre les mains de Christelle Morançais.

La scène du bureau ovale a suscité le choc et l’effroi, mais elle a aussi provoqué un sursaut des consciences européennes. Comme s’il avait fallu ce carnage en direct pour achever de nous dessiller sur l’actualité du retrait de la protection américaine. Nous, Européens, avons vécu une expérience de retournement géopolitique en temps réel – le passage d’une tectonique d’alliances anciennes à une logique, non pas tant de nouvelle alliance, mais de sinistre connivence.

Les brèches dans le bouclier de l’OTAN nous mettent nez-à-nez avec la Russie de Poutine et sa doctrine de « l’État-civilisation », ayant vocation à reconstruire sa sphère d’influence impériale. Un pays qui a lancé son armée sur l’Ukraine avec des visées qui vont bien au-delà des oblast contestés ; un pays qui multiplie les actions hybrides et qui est récemment intervenu dans les processus électoraux de la Moldavie et de la Roumanie, en poursuivant une véritable politique de changement de régime.

Évidemment, tout le monde n’est pas convaincu de la réalité du danger russe et du bien fondé du projet de défense commune européenne : il y a ceux qui épousent le récit du Kremlin et interprètent la guerre comme une réponse aux élargissements de l’OTAN ; il y a Jean-Luc Mélenchon, qui parle de « fanfaronnade guerrière », et aussi le député RN Thierry Mariani, qui qualifie de « farfelue » la menace poutinienne ; et il y a ceux, sur les plateaux de Cnews, qui font une hiérarchie des menaces et pointent avant tout le danger islamiste. Nous savons que tous ceux-là s’accommoderaient de Vladimir Poutine – et que si, demain, au lieu d’un seul Orban, les régimes illibéraux venaient à se multiplier au sein de l’UE, notre destin commun s’en trouverait bouleversé. Et nous savons aussi qu’il n’y a pas une hiérarchie, mais un enchevêtrement des menaces, auquel nous devons être capables de répondre de manière systémique.

Or c’est là que le bât blesse. Car autant le processus en cours « d’unification de nos cauchemars européens » est un bien commun dont il faut se saisir pour bâtir une nouvelle infrastructure de sécurité continentale, autant il serait catastrophique de lui sacrifier l’impératif tout aussi pressant à court, moyen et long terme de la crise écologique et climatique. Il est inquiétant que les réflexions actuelles visant à exclure les dépenses militaires des règles de stabilité budgétaire de l’UE n’aillent pas de pair avec une approche similaire pour les investissements dans la transition écologique. Le risque est réel : la bascule géopolitique nous a fait entrer dans le dur, et alors que le débat était jusqu’ici plutôt abstrait (« il va falloir un effort »), il prend désormais le tour très concret de grands arbitrages collectifs.

Il est évident que le plan de 800 milliards d’euros annoncé par Ursula Van der Leyen pour la défense européenne, les 100 milliards évoqués par Sébastien Lecornu pour la France, requièrent un exercice massif de réallocation financière. Et avec une dette publique française qui atteint déjà 3,300 milliards, on voit parfaitement l’effet tenaille qui se profile quand la dégradation des conditions de notre prospérité se produit concomitamment avec une dégradation des conditions de notre sécurité. Cette tenaille aura forcément des effets majeurs sur le contrat social.

Et la Bretagne, dans tous cela, me direz-vous ?

L’enjeu crucial, pour la Bretagne, est de savoir répondre à la polycrise, sans rien lâcher sur l’écologie ni sur la cohésion sociale. Il ne suffit pas d’invoquer à l’envi le mantra du local, de la Bretagne comme pôle de stabilité pour nous prémunir contre les périls qui montent.

Vous savez ce que porte le groupe Breizh a-gleiz, et nous savons que certains d’entre vous pensent intérieurement « l’autonomie, ce n’est vraiment pas la priorité du moment. » Pourtant, une nouvelle donne démocratique au sein de notre République est plus pertinente que jamais, et ce pour deux raisons fondamentales.

Tout d’abord parce que nous avons besoin de consolider nos espaces de délibération pluraliste, à toutes les échelles. Pour cela il faut que les assemblées délibérantes comme la nôtre deviennent véritablement décisionnaires, qu’elles soient capables de prendre en charge les tensions qui traversent les sociétés locales pour leur donner un débouché transformateur.

Ensuite parce que le contexte appelle à une clarification des rôles entre l’État et les collectivités – entre ce qui concerne le régalien et ce qui relève de politiques publiques territoriales. Mon groupe a souvent décliné sa vision des autonomies concrètes qui restent à bâtir, porteuses de robustesse et de résilience pour la Bretagne, dans les domaines de l’alimentation, de l’autonomie protéique, de la relocalisation industrielle et énergétique, je ne m’y étends pas.

Ce qui est sûr, c’est que rien de tout cela ne verra le jour sans des ressources à la hauteur, ce qui implique de se faire entendre dans le débat budgétaire qui s’amorce au niveau national pour 2026 et au-delà.

Je conclurai, mes chers collègues, en mentionnant l’une des richesses de la Bretagne, que nous devons avoir la sagesse de cultiver. Cette richesse, ce sont les forces vives du dialogue, de la coopération, et de l’action collective. Ne nous y trompons pas  : la convergence inédite entre le néo-libéralisme, le conservatisme moral, le populisme et l’hybris technologique n’a pas seulement pour cible la rationalité et le pluralisme démocratique. Ses héraults s’en prennent tout autant au pouvoir d’agir collectif enraciné dans la société. Alors ayons soin, ici, de ne pas éroder – pour des raisons très différentes, au nom de l’efficacité de l’action publique et d’un recentrement sur ses bénéficiaires directs – le ressort des réseaux d’éducation populaire, des organismes de développement agricole, des associations, qui font de la Bretagne une société, et non une somme d’usagers-consommateurs – et encore moins un agrégat de hordes mues par la violence mimétique.

Merci pour votre attention.

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