Les mégacamions

Published On: 22 avril 2024Views: 129

Le 12 mars 2024, sur proposition de la Commission européenne, le Parlement européen a voté en faveur d’une révision de la directive « Poids et dimensions ». Au prétexte de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du transport routier, le nouveau texte prévoit deux mesures :
– favoriser l’essor des poids lourds électriques ou à hydrogène. Or, ceux-ci pèsent plus lourd et sont plus volumineux, notamment à cause des batteries. Aussi le texte vise-t-il à passer de 40 à 44 tonnes le poids maximal autorisé sur l’ensemble du territoire européen pour ces camions « zéro émission » circulant entre les pays européens ;
– mais aussi autoriser les méga-camions – appelés « gigaliners », « Écocombis » ou « European Modular System » dans le vocabulaire professionnel et administratif – à circuler sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Il s’agit de tracteurs routiers auxquels sont rattachées une semi-remorque et une, voire deux remorques, le tout pesant jusqu’à 60 tonnes et mesurant jusqu’à 25,25 mètres de long. Ces véhicules sont déjà autorisés à la circulation en Suède, en Finlande, au Danemark, aux Pays-Bas et dans certaines zones en Allemagne, en Espagne et au Portugal.

En droit, la première mesure n’aurait pas de conséquence en France, indépendamment de la question de l’équipement du réseau autoroutier et routier en bornes de recharge électrique adaptées à de tels véhicules. En effet, depuis décembre 2012, la législation nationale autorise déjà, outre les convois exceptionnels, la circulation de poids lourds d’un poids maximal de 44 tonnes et d’une longueur maximale de 18,75 mètres (décret n°2012-1359 du 4 décembre 2012).

En revanche, la seconde mesure changerait profondément l’encadrement juridique du transport routier en France et impacterait fortement les autres modes de transport de marchandises.

Le sujet d’une législation favorable à la circulation des méga-camions en France comme dans l’ensemble de l’Union européenne n’est pas nouveau puisque dès 2009, sous la pression de certains industriels du transport routier, le secrétaire d’État aux transports de l’époque, Dominique Bussereau, avait d’abord envisagé la mesure à titre expérimental avant d’y renoncer après avoir pris connaissance d’une étude d’impact de l’Observatoire énergie environnement des transports (OEET), issu du Grenelle de l’environnement de 2007. Depuis 2009, le sujet revient à l’agenda des institutions européennes tous les quatre ou cinq ans, sous la pression du lobby des grandes compagnies transnationales du transport routier.

Les conséquences d’une autorisation à la circulation en France de méga-camions de 60 tonnes et de 25,25 mètres de long seraient multiples :

– sur la sécurité des personnes : une augmentation des risques d’accident, en particulier sur les routes à deux voies en augmentant la distance de freinage de ces méga-camions et la dangerosité des manœuvres de dépassement par les véhicules motorisés plus légers mais aussi en mettant en danger les cyclistes et les piétons (problématique des angles morts). Nous gardons en mémoire le drame de Mirepoix en 2019 où le passage d’un camion de 50 tonnes sur un pont avait causé son effondrement et la mort de deux personnes ;

– sur les dépenses des collectivités locales : une accélération de l’usure et une augmentation des risques de dégradation de la chaussée et d’infrastructures coûteuses comme les ponts, les ronds-points et les trottoirs, une augmentation des risques d’endommagement des panneaux de signalisation. Dès 2013, un rapport sénatorial avait conclu que « l’augmentation de la charge maximale […] a des conséquences importantes sur la chaussée. Un poids lourd de 44 tonnes à cinq essieux produit une usure équivalente à deux poids lourds de 40 tonnes sur une route à fort trafic » (avis du 21 novembre 2013 au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2014, adopté par l’Assemblée nationale) ;

– sur le climat et l’environnement : une concurrence déloyale à l’égard du fret ferroviaire, mais aussi du fret fluvial et maritime qui s’en trouveraient ainsi affectés, alors même que la part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises n’est que de 10 % en France et 1 % en région Bretagne (32 % en Autriche, 35 % en Suisse). A cet égard, le projet visant à autoriser la circulation de méga-camions est en totale contradiction avec l’objectif affiché par l’Union européenne de porter la part du ferroviaire dans le transport de marchandises de 18 % à 30 % en 2030.

Le cabinet allemand D-fine estime que l’autorisation des méga-camions dans l’ensemble de l’Union européenne pourrait faire baisser le trafic ferroviaire de marchandises de 21 % et entraînerait 10,5 millions de trajets annuels supplémentaires qui provoqueraient une hausse des émissions de gaz à effet de serre de 6,6 millions de tonnes de CO2 équivalent, soit les émissions totales d’un territoire comme l’Ille-et-Vilaine. Actuellement, plus de 50 % du fret européen est transporté par la route et les poids lourds génèrent 6 % des émissions totales de gaz à effet de serre de l’Union européenne. Le cabinet D-fine estime de plus que le coût d’entretien des infrastructures routières serait accru de 1,15 milliard d’euros par an (extraits de l’étude « Study on Weights and Dimensions – Impacts of the Proposed Amendements to the Weights and Dimensions Directive on Combined Transport and Rail Freight Transport », 11 janvier 2024).

En réalité, au prétexte de réduire les émissions de gaz à effet de serre et le nombre de camions sur les routes, il s’agit en autorisant la circulation de méga-camions sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne de pallier la pénurie de chauffeurs routiers. Or, l’alternative à cette situation existe déjà : le report modal du transport de marchandises sur longue distance de la route vers le train, le fluvial et la mer. C’est cette alternative-là qui permettra de réduire le bilan carbone du transport longue distance, tout en réduisant le risque d’accidents. Et c’est bien cette alternative qu’il convient de mettre en œuvre. Un transport de marchandises par le rail, c’est 10 à 11 fois moins d’émissions polluantes à la tonne transportée que le transport routier.

En France, le gouvernement a fait connaître son opposition à la proposition d’autoriser la circulation des méga-camions sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Cependant, certains acteurs économiques français ont pris position pour le texte, telle la Confédération des grossistes de France (CGF) par la voix de son président.
Après le vote du Parlement européen, il est prévu que le texte revienne à l’agenda des travaux du Conseil européen à partir du mois de juin.

Par conséquent, le Conseil régional de Bretagne :
1. Affirme son opposition à l’autorisation des « gigaliners » ou méga-camions en Bretagne, en France et dans l’Union européenne,
2. Demande au gouvernement et au Parlement français de confirmer et maintenir la position officielle de la France d’interdiction à la circulation des méga-camions sur le territoire français, y compris en transit d’un pays vers un autre,
3. Demande aux États membres de l’Union européenne, à la Commission européenne et au Parlement européen de conduire des politiques cohérentes en faveur du report modal de la route vers le train, le fluvial et la mer pour les transports de marchandises longue distance en Europe.

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