
Le débat public sur la réunification administrative de la Bretagne
Monsieur le Président,
Voici près de deux ans et demi, à l’aube de notre mandature, cette assemblée a adopté à l’unanimité un vœu « Pour une expression citoyenne sur la question de la réunification de la Bretagne ». Ce vœu enjoignait à l’Etat « d’engager, à l’horizon 2024, le processus législatif qui permettra de consulter en premier lieu les électeurs de Loire-Atlantique sur leur souhait de rejoindre, ou non, la Région Bretagne. »
L’insertion d’un horizon temporel précis au texte de ce vœu était une requête des élus du groupe Breizh a-gleiz, soucieux d’aller au-delà du vœu pieux en formalisant une date butoir au-delà de laquelle le Conseil Régional de Bretagne prendrait l’initiative d’un débat public sur la question du rattachement de la Loire-Atlantique à la Région Bretagne. L’un des ténors du régionalisme au sein de la majorité régionale s’était alors ému que nous doutions de la bonne volonté étatique en la matière, et avait plaidé contre cette prémunition temporelle. Nous pouvons dire aujourd’hui que le groupe Breizh a-gleiz n’avait pas péché par pessimisme, et il est heureux que vous n’ayez pas attendu la Saint-Glinglin, Monsieur le Président, pour rappeler à l’Etat, lors d’une conférence de presse tenue à Nantes le 30 janvier dernier aux côtés de Michel Ménard, Président du Département de Loire-Atlantique, la nécessité « d’engager enfin la dynamique du référendum décisionnel » que nos deux collectivités appellent de leurs vœux.
L’article 3 du texte voté par notre assemblée en octobre 2021 identifiait en premier acte du processus référendaire « la commande d’études d’impact relatives à la réunification, dans le cadre d’un cofinancement avec d’autres collectivités de Loire-Atlantique afin d’alimenter qualitativement le débat public. » Une telle étude a bien été commandée et publiée, dont le résultat laisse pour le moins à désirer. Non pas qu’elle tire des conclusions qui ne conviendraient pas aux partisans de la réunification, mais parce qu’elle compile des données qui ne résultent d’aucune expertise particulière, d’aucun travail analytique ou méthodologique identifiables. Nous ne sommes malheureusement pas surpris. Le groupe Breizh a-gleiz s’était publiquement inquiété, à plusieurs reprises, du manque de pilotage politique de cette étude, dont l’introduction invoque pourtant des « points d’étapes [ayant] permis de faire régulièrement le suivi de l’avancement des travaux avec les commanditaires ».
Dans une question orale du 14 février 2023, Christian Guyonvarc’h avait demandé une information sur la commande de cette étude pour laquelle un financement de 130 000 euros TTC a été provisionné, financé à parité entre la Région Bretagne et le Département de la Loire-Atlantique. Dans mon discours de politique générale d’avril 2023, je vous avais quant à moi interpellé, Monsieur le Président, sur le fiasco du premier appel d’offre, qui n’avait recueilli aucune candidature. Et j’avais dit combien il serait regrettable qu’après avoir négligé toute démarche de sourcing à destination de cabinets compétents dans les matières administratives et financières, nous nous acheminions, en toute légalité, mais sans aucune exigence d’expertise ou de transparence démocratique vers le choix de la candidature unique d’un lauréat certes doté d’une adresse à Rennes, mais qui n’en reste pas moins un grand cabinet anglo-saxon. De fait, l’externalisation du choix de cette attribution de marché public à un intermédiaire dont la vocation première est la fourniture de matériel de bureau illustre de façon tragi-comique la dépolitisation d’un enjeu pourtant crucial pour l’avenir de la Bretagne.
Mais nous en sommes là. L’étude a été publiée ; le chapitre est clos (même si le pluriel des « études d’impact » mentionnées dans l’écriture du vœu régional peut nous laisser quelque espoir). Nous saisirons d’autres occasions pour questionner l’utilisation de l’argent public et le pilotage politique qui ont sous-tendu ce premier acte. Il s’agit aujourd’hui d’en passer à l’étape suivante en nous projetant dans l’organisation du grand débat public qu’appelle le projet de réinstauration d’une Bretagne complète – forte de son histoire, de sa cohésion sociale et de sa vitalité démocratique. C’est tout l’objet du premier alinéa de l’article 3 du vœu d’octobre 2021, lequel stipule que le Conseil Régional s’engage « à proposer les modalités d’un débat public et d’une consultation citoyenne, en veillant au pluralisme des expressions, sur la question du rattachement de la Loire-Atlantique. »
Un tel débat comporte une part de risque pour les partisans de la réunification, puisque par définition, nous n’en connaissons pas l’issue. Mais c’est un débat dont la vie démocratique sortira nécessairement grandie et vivifiée, tant il est urgent de revigorer le lien entre sentiment d’appartenance, espaces de délibération sur l’organisation de la vie collective, et capacité des représentants élus aux différentes échelles de la République à lever l’impôt et donc à rendre des comptes sur leurs grands choix de politiques publiques. A ceux qui disent que la réunification de la Bretagne n’est pas une priorité, il faut répondre que la crise démocratique n’est pas un sujet secondaire. Que nous n’avancerons pas, tels des somnambules, vers le crépuscule nationalo-populiste car nous avons encore la possibilité de ré-arrimer la démocratie française à cet échelon intermédiaire de confiance, assemblier des réalités locales, qu’est la région. Nous avons aujourd’hui une occasion inédite de mener de concert le débat sur l’autonomie de la Bretagne – sur un projet de refondation démocratique – et celui sur le rattachement de la Loire-Atlantique. Il faut saisir cette opportunité, sans attendre.
C’est pourquoi nous vous demandons, Monsieur le Président, si vous êtes disposé – nonobstant la date de déclenchement par l’Etat d’un référendum décisionnel – à prendre les devants en organisant en Région Bretagne les conditions d’un large débat public sur le sens et les enjeux du rattachement de la Loire-Atlantique, en concertation avec les collectivités de ce même département volontaires pour animer un tel débat sur leur territoire, et si vous pouvez envisager de mobiliser à ces fins une partie des crédits prévus pour la communication de la Région au budget 2024, indépendamment de la provision inscrite pour faire face à la probabilité de processus référendaire ?
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