
L’Intelligence Artificielle
L’intelligence artificielle est une nouvelle révolution dans la révolution numérique. Depuis l’accès du grand public à l’outil ChatGPT – qui n’est que la pointe émergée de l’iceberg – l’IA a envahi nos espaces de vie en dix-huit mois à peine. Comme souvent, le déploiement d’une technologie nouvelle a précédé le droit pour l’encadrer, laissant libre cours à une forme de jungle où tout semble permis. C’est d’autant plus vrai que le développement de l’IA est sous-tendu par des logiques capitalistiques qui n’accordent qu’une place très secondaire aux considérations éthiques. Sans même parler du « dark web ».
Bien entendu, quand bien même on le souhaiterait, il serait vain de vouloir faire obstacle à l’intelligence artificielle en tant qu’outil technologique. Et comme pour d’autres découvertes humaines, son utilisation peut servir les pires intentions mais aussi les meilleures, par exemple dans le domaine médical quand il s’agit d’améliorer le geste du chirurgien ou de booster la recherche sur les maladies génétiques.
Pour autant, nous pouvons constater que la diffusion à une vitesse exponentielle des applications de l’intelligence artificielle soulève des questions qui par leur multitude et leur profondeur mettent en cause la capacité de la puissance publique à réguler la vie en société pour protéger les droits fondamentaux de chaque personne et les intérêts des plus faibles. De nombreux emplois en sont déjà bouleversés ; des jeunes qui se sont engagés dans des études pour devenir interprète, juriste ou journaliste se demandent subitement s’ils ne doivent pas bifurquer. Et pour tout dire, certaines applications de l’IA menacent les principes mêmes de la démocratie. Car l’IA peut déboucher et débouche déjà sur des intrusions dans la vie privée de tout un chacun, sur l’augmentation de la criminalité et des trafics en tous genres qui l’alimentent, sur de la désinformation à une échelle industrielle qui sert des organisations terroristes et des Etats qui ne le sont pas moins. A cet égard, la présence en Bretagne d’un arsenal militaire important, en particulier dans le domaine de la marine et du nucléaire, ainsi que de structures spécialisées dans la cyberdéfense pourraient faire de notre territoire une cible pour des usages malveillants de l’IA s’appuyant sur des moyens puissants.
Il est évident que la Région Bretagne, à l’échelle et avec les moyens qui sont les siens, ne peut pas décider de ce que sera l’IA ou de ce qu’elle ne sera pas. En revanche, nous avons la possibilité et la responsabilité de dire précisément ce que notre collectivité est disposée à accompagner en matière d’IA au travers de ses aides économiques ou au contraire ce qu’elle n’accompagnera pas. La Région peut aussi apporter sa contribution au débat public. Car on est en droit de penser que les développements de l’IA ne seront pas moins déterminants pour notre façon de vivre en Bretagne demain que les conditions de mise en œuvre du zéro artificialisation nette ou les conditions d’accès à la santé et à la mobilité.
Le 21 mai dernier, l’Union européenne s’est dotée d’un règlement en matière d’IA. C’est une législation pionnière dont la mise en œuvre effective va s’étaler sur une période de six mois à trois ans selon les domaines. Nous pensons que la Région est fondée à se saisir de cette législation pour l’aider à poser dès maintenant des principes et un cadre à son intervention, budgétaire ou autre.
Monsieur le Président, constatant que la Région avait commencé à subventionner des applications de l’IA qui sont développées le plus souvent par des start-up, notre groupe a posé plusieurs fois la question d’une doctrine qui reste à construire pour guider l’intervention de notre collectivité. Nous avons questionné votre exécutif et les services de la Région dans le cadre du comité technique économique et à la commission permanente. Vous avez bien voulu nous répondre que ce questionnement était fondé et que vous souhaitiez ouvrir un processus d’élaboration d’une doctrine régionale. Pourriez-vous éclairer notre assemblée sur la façon dont vous entendez concrétiser cet engagement ?