La politique, en France, est une sorte de mirage

Published On: 9 avril 2024Views: 156

La politique, en France, est une sorte de mirage : quand on croit tenir une avancée institutionnelle, on se rend compte que l’objectif s’éloigne. Un jour, Emmanuel Macron parle d’autonomie pour les territoires, un autre, il laisse son ministre de l’économie affirmer que les collectivités seront mises à contribution pour rembourser la dette française alors même que nous n’avons pas le droit d’emprunter pour du fonctionnement. Institutionnellement parlant, les gouvernements successifs se sont fait une spécialité de tourner autour du pot et à la fin de ne rien régler du tout, voire de complexifier encore davantage ce qui l’était déjà inutilement. C’est sans doute cela l’« exception culturelle française » !

Aussi, M. Le Président, nous vous tirons notre chapeau pour la patience dont vous faites preuve. Combien de rapports avons-nous réalisés au juste depuis 10 années ? Combien ? Vous en avez listé un certain nombre lors de votre audition au Sénat le 11 avril que nous avons écoutée avec attention. Pour quelles avancées ? Quasiment aucune ! On en pense ce qu’on veut, mais il y a 10 ans les Bonnets rouges (donc la société) a obtenu un semblant d’avancée… non respectée soit dit en passant. Quand les collectivités bretonnes ont obtenu au forceps le Pinel breton, cela a suscité des débats dans l’appareil d’État qui, de vos propres mots, a laissé entendre que cette expérimentation « déchirait la République ». C’est dire comme le chemin est long. Géraldine Chavrier, professeure de droit public, disait dans un excellent magazine : « Quarante ans après les lois Defferre, la décentralisation française demeure une décentralisation de pure gestion de compétences dont l’exercice est strictement encadré par l’État ». Pour le dire plus clairement : nous ne sommes que de grosses préfectures ! Avec du personnel élu toutefois.

La « différenciation territoriale » fait partie de ces concepts qui semblent révolutionnaires dans une république centralisée et prétendument unitaire, mais qui au final ne sont qu’une illusion démocratique pour que tout change sans rien changer. La loi dite « 3DS », à quoi a-t-elle servi au juste ? Aucune remise en question des rapports de domination intérieure. L’État continue de décider par le haut tout en se revendiquant « démocratie ». Quant au peuple breton, le fameux « éléphant au milieu de la pièce » que nous avons déjà évoqué ici-même en décembre, il continue d’être invisibilisé par les institutions. Il est pourtant là, devant nos yeux !

De son côté, le RN nous rappelle à quel point il est autoritaire et centraliste puisqu’il souhaite purement et simplement supprimer les Régions et fusionner les collectivités. C’est encore ce qu’ont affirmé deux de ses députés récemment, Sébastien Chenu (par ailleurs aussi conseiller régional des Hauts de France) et Jean-Philippe Tanguy. C’était déjà le discours de Jean-Marie Le Pen… Les « territoires » ne comptent pas, seul l’État, l’administration jacobine, a une valeur. Un projet qui, pendant des années, a été partagé aussi bien par la gauche que par la droite…

Naviguer entre idéal et pragmatisme, voilà qui donne tout le sel à la Politique. C’est au fond le tableau de Raphaël, L’École d’Athènes, dans lequel, au centre, Platon désigne le ciel pour évoquer le monde des idées et Aristote désigne la terre pour évoquer celui du monde réel. Le jacobinisme a cherché à imposer son idéal au réel. L’historienne Suzanne Citron a déjà démonté ce mythe national de la France incréée. Nous autres autonomistes suivons notre idéal, mais nous n’oublions pas que l’on part toujours de la réalité, de la société telle qu’elle est.

Ainsi donc : si notre assemblée estime que le peuple breton existe, alors il dispose de droits. Un droit d’exister pour commencer, un droit à son Histoire, un droit à exercer librement sa culture, un droit à enseigner sa ou ses langues, un droit territorial. Sans ces droits, nous bricolons. Quand Bretagne Réunie récolte 105 000 signatures dans la seule Loire-Atlantique pour réclamer un simple droit à consulter, la Cour Administrative d’Appel de Nantes estime qu’il n’y avait pas obligation pour le président du Conseil départemental d’organiser ce débat. Apprécions les mots sensés de l’association : « l’argutie est extraordinaire. La loi vous autorise à demander mais pas obtenir ! ». Que dire de l’étude d’impact sur la réunification commandée par la Région Bretagne et le Conseil départemental de Loire-Atlantique, faite avec les pieds, dans laquelle on ne trouve même pas d’analyse financière. Le tout pour la modique somme de 130 000 €… Ce qui veut dire que politiquement, nous posons mal le sujet et techniquement, nous le bâclons !

Pendant ce temps, la région dite des « Pays de la Loire » qui n’a soi-disant rien contre la Bretagne, supprime les subventions aux associations culturelles bretonnes. Et les rares émissions en breton sur France 3 sont régulièrement remplacées par du sport, la dernière en date étant le marathon de Paris ! Nous le répéterons encore et toujours jusqu’à ce que cela soit entendu : nous ne voulons pas d’un droit particulier et communautaire, nous voulons l’accès aux droits universels que l’État jacobin nous refuse.

Dans le monde néolibéral, l’argumentaire jacobin sur l’opposition de l’autonomie à la République tient encore moins qu’avant. Car c’est bien le gouvernement actuel qui détricote les services publics, dérégule, alors que nous souhaitons au contraire fixer des règles au service des plus fragiles : pour le logement, pour l’énergie, pour les transports… C’est le dogmatisme qui guide le jacobinisme d’Emmanuel Macron et non l’efficacité de l’action publique.

Interrogeons-nous sur ce qui semble « neutre ». L’homme n’est pas neutre. Le français n’est pas neutre non plus. La centralisation n’est pas neutre. Ce sont de simples constructions historiques que nous pouvons remettre en cause. Si nous sommes marginalisés, c’est d’abord un choix politique, injuste. Si les régions sont des nains budgétaires, c’est encore des choix politiques. Durant des siècles, le prisme a été identitaire : on nous a opposé que la France était le progrès et la Bretagne la réaction. Force est de constater aujourd’hui que la société bretonne est moins inégalitaire qu’ailleurs, qu’il reste chez nous une société vivante et qu’elle doit rester, au-delà des clivages politiques, notre bien le plus précieux.

C’est cette société-là, Monsieur le Président, qu’il faut aller chercher désormais. Les jeux de dupe avec le gouvernement fatiguent tout le monde, d’autant qu’il devient de plus en plus évident que celui-ci est malhonnête. Quand la Bretagne joue le jeu, elle ne récolte rien. Alors même que la loi le permet… en théorie. Du pur mépris. C’est donc la société qu’il faut mobiliser. Et puisque les imaginaires français sont révolutionnaires, relisons les cahiers de doléances de nos paysans en Bretagne… La société est souvent bien plus en avance que nous autres leurs représentants. C’est avec un rapport de force militant que nous gagnerons des avancées institutionnelles, pas avec des réunions ministérielles. 50 % des ministres en poste vivent à moins de 20 km de Paris et on voudrait nous faire croire que ce sont ces gens-là qui connaissent la France ? Revivifier la République semble impossible par le haut. Mais nous pouvons ouvrir des espaces de débat ici, chez nous, partout, afin de récolter les ambitions du peuple breton, de la société bretonne pour l’avenir de la Bretagne. C’est la demande de notre groupe.

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