Crise du système de santé en Bretagne et mobilisation des maires

Published On: 11 octobre 2024Views: 113
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Il se passe ces jours-ci quelque chose d’important en Bretagne : un mouvement a été lancé au cœur de l’été depuis Belle-Isle-en-Terre, qui s’est amplifié jusqu’à galvaniser plusieurs dizaines d’élus dans l’ensemble du département des Côtes d’Armor, et qui se propage aujourd’hui à d’autres territoires en Bretagne et au-delà. Je pense, vous l’aurez compris, aux arrêtés pris depuis le 3 juin dernier par 56 maires costarmoricains pour enjoindre l’État d’améliorer en urgence l’offre de soins territoriale en garantissant un accès ininterrompu aux hôpitaux publics du département, sous peine d’une astreinte de 1000 euros par jour. Cette initiative, clairement transgressive, mérite toute l’attention de notre hémicycle car elle est significative à un triple égard.

Elle est importante, tout d’abord, pour ce qu’elle révèle de l’état de délabrement des services publics de santé à travers la Bretagne, du Trégor au pays d’Ancenis. L’initiative des maires des Côtes d’Armor fait fond sur le phénomène gravissime de la désertification médicale, lequel nourrit et vient se conjuguer avec le délitement du réseau d’hôpitaux publics implantés dans les petites villes qui maillent le territoire du département. Hier hôpitaux de plein exercice, ces établissements pâtissent aujourd’hui d’un déficit chronique de ressources humaines et financières, ainsi que des conséquences de choix de régulation médicale territoriale guidés essentiellement par des considérations organisationnelles et budgétaires, au détriment des exigences de continuité de service et de cohésion territoriale. Suspension des accouchements à Guingamp, « régulation » des urgences de nuit à Lannion, fermeture de services à l’hôpital de Paimpol, pompiers débordés, flotte de véhicule SMUR vieillissante, médecins de ville partant à la retraite sans être remplacés – le système de santé costarmoricain craque de toute part, et les maires sont en première ligne pour tenter de colmater les brèches. Véritables « brancardiers de la République », selon l’expression du maire de Guingamp, ce sont eux qui se démènent pour recruter des médecins, faciliter l’ouverture de cabinets médicaux ou de maisons de santé dans leur commune, ou encore demander à être associés aux décisions de l’ARS. Et ce sont aussi les maires qui font face au quotidien aux situations de détresse de leurs administrés, tel le cas de cette patiente, rapporté par le maire de Callac, qui, ayant été prise en charge par l’ambulance des pompiers, s’est vue refuser l’accès à l’hôpital de Carhaix, puis à celui de Guingamp, et enfin à celui de Brest, avant d’être aiguillée vers l’hôpital de Noyal Pontivy, à l’issue d’un trajet de 4h30 sur les routes de Bretagne ! Nous pouvons donc comprendre que ces maires, las d’attendre des réponses perpétuellement ajournées, aient fini par employer les grands moyens et par prendre ces arrêtés menaçant de mettre l’Etat à l’amende. Et c’est là aussi que le bât blesse, car la réponse de l’Etat n’a pas été celle que l’on pouvait attendre.

De fait, la saga des arrêtés costarmoricains est significative également pour ce qu’elle révèle de l’état de délabrement du dialogue entre l’État et les collectivités territoriales. Les arrêtés pris par les 56 maires des Côtes d’Armor sont illégaux pour incompétence, et leurs auteurs le savaient. De l’aveu même de deux d’entre eux, le but de la démarche, « ce n’est pas de toucher les 1000 euros » mais, dans les mots du maire de Saint Quay Perros, «d’obliger l’État à réagir» ou, dans ceux du maire de Ploulec’h, «de parler du fond, d’avoir un dialogue constructif». Ces arrêtés ont donc été conçus pour provoquer la discussion quand les élus avaient le sentiment qu’elle n’est plus possible. Les élus ont utilisé les outils qu’ils avaient à leur portée afin de se faire entendre. Or la réponse du représentant local de l’Etat, à savoir le préfet des Côtes d’Armor, est arrivée sous la forme d’une convocation au Tribunal Administratif. Et devant ce Tribunal Administratif, le représentant de l’Etat ne s’est pas contenté de plaider l’illégalité des arrêtés pour cause d’absence de compétence juridique des maires en matière de santé, il a également remis en cause la connaissance qu’ont ces maires de leurs réalités territoriales, dénonçant «une erreur d’appréciation des faits». On comprend l’émoi des élus costarmoricains face à une telle réponse, quand leur véritable objectif était l’obtention d’une médiation institutionnelle. Quid du rôle de conciliation du préfet ? Le déféré au TA était-il la seule voie d’action possible ? Contentons-nous d’observer que dans les Alpes-de-Haute Provence – où une trentaine de maires ont, en août dernier, emboité le pas à ceux des Côtes d’Armor et pris des arrêtés similaires – le préfet a quant à lui choisi de mettre en place une médiation entre la préfecture, l’ARS et les élus. La surdité manifestée par son homologue des Côtes d’Armor nous renvoie à un problème plus général de condescendance, voire d’étanchéité, de l’Etat central vis-à-vis des revendications locales. De façon significative, le maire Plouëc-du-Trieux, également Président de GPA et figure de proue du mouvement, a annoncé que la mobilisation se poursuivrait via, notamment, l’ouverture de cahiers de doléances dans les mairies…

Enfin, il y existe une 3e raison pour laquelle la démarche des maires costarmoricains nous apparait importante : parce qu’elle rompt avec un registre politique de la résignation et de la perte de contrôle, dont nous savons combien il alimente un sentiment diffus d’insécurité parmi la population et fait le lit des partis charognards-populistes. Il n’est pas anodin que les maires se soient fondés, pour prendre ces arrêtés, sur leur pouvoir de police, invoquant la composante « dignité de la personne humaine » de l’ordre public et leur obligation de prendre les mesures qui s’imposent afin de faire cesser les troubles constatés à cet ordre public. Cet argumentaire peut sembler baroque, il est cependant incontestable que l’égalité d’accès aux soins est une composante intrinsèque du sentiment de sûreté individuelle et collective et un élément fondateur du pacte républicain. La santé figure au premier rang des préoccupations des Bretonnes et des Bretons. Nous avons donc des élus locaux qui, au-delà des textes, se sentent investis d’une mission générale de protection du bien-être et de la sécurité de leur population. Des élus locaux qui ont choisi de ne pas se comporter en simples spectateurs de la dégradation accélérée du service de santé territorial mais de poser un acte collectif, lequel – au-delà de sa portée symbolique – porte un message politique éloquent.

Pour le groupe Breizh a-gleiz, la capacité des élus locaux à réintroduire de la médiation et à revendiquer une participation aux décisions affectant les besoins fondamentaux de leur population est un enjeu décisif, a fortiori dans un contexte de crise démocratique aiguë. Et de notre point de vue, ces enjeux d’inter-médiation et de territorialisation démocratique de la décision concernent aussi pleinement la Région, qui a clairement réitéré, dans l’avis défavorable qu’elle a rendu sur le Projet Régional de Santé 2023-2028, «sa volonté de tenir toute sa place au sein des nombreuses instances de démocratie sanitaire pour y représenter l’intérêt des territoires et des collectivités.»

Monsieur le Président,

Il y a deux semaines, lors du Congrès de Régions de France à Strasbourg, vous avez dit que le social-démocrate que vous êtes n’allait pas attendre l’échec du gouvernement Barnier pour apporter des réponses aux demandes de nos concitoyens en matière de logement, de santé et d’école. Vous avez plaidé pour un renforcement des pouvoirs des élus locaux dans ces trois domaines fondamentaux de la vie individuelle et collective. Vos propos ont été entendus par les maires des Côtes d’Armor ; ils ont aussi suscité une attente dans les rangs de ceux – élus locaux, parlementaires, militants associatifs – qui se réuniront à Carhaix ce samedi 12 octobre pour débattre de santé publique et d’autonomie de la Bretagne.

Alors pouvez-vous nous dire, Monsieur le Président, ce que vous inspire la démarche de ces maires qui ont cru bon d’alerter sur l’état d’urgence sanitaire dans leur territoire, et si vous êtes vous-même disposé à poser un acte politique fort en signifiant à l’État la volonté de la Région Bretagne d’exercer une compétence en matière de santé publique, assortie de moyens humains et de ressources fiscales appropriées ?

Merci.

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