
La toponymie bretonne, toujours en danger !
« Être né quelque part, pour celui qui est né, c’est toujours un hasard.
Être né quelque part, laissez-moi ce repère ou je perds la mémoire ».
Dans sa chanson Né quelque part, en deux vers Maxime Le Forestier dit à la fois la loterie de la vie et le sens qu’on peut donner à son existence en tissant un lien invisible avec les générations précédentes qui ont humanisé les lieux qu’on habite. Qu’on y ait poussé son premier cri ou pas, qu’on y ait appris à marcher ou pas… Car on peut naître plusieurs fois.
Le 28 septembre 2019, le Conseil culturel de Bretagne adoptait un vœu intitulé « Il est temps de mettre un terme à l’oubli des langues et de l’Histoire de Bretagne ». Le Conseil culturel appelait « tous les maires de Bretagne à réfléchir à l’importance du maintien des noms de lieux hérités de l’Histoire, du choix des nouveaux noms de rues ou de quartiers ainsi que de ceux des nouvelles communautés de communes ».
Preuve que l’interpellation du Conseil culturel n’avait pas suffi à stopper le rouleur-compresseur d’une technostructure uniformisante, le 6 avril dernier, sur proposition de nos collègues du groupe Bretagne Ma Vie, notre assemblée adoptait à son tour, et à l’unanimité, un vœu intitulé « Pour le respect de la toponymie bretonne : ne sacrifions pas la poésie des lieux au profit d’une codification administrative normative ! » Ce vœu partait du constat qu’au prétexte de la loi dite 3DS du 21 février 2022 créant l’obligation de nommer et de numéroter les voies des communes de moins de 2000 habitants, des sociétés comme la Poste démarchaient les maires pour leur proposer des solutions « clés en main » consistant à remplacer les lieux-dits existants par des noms de voies uniformisés : route de… rue de… etc. En milieu rural, cette logique a pour conséquence de supprimer de nombreux toponymes dans des territoires où l’habitat est diffus. C’est donc bien à un effacement programmé de la mémoire auquel cette logique conduit.
Dans son vœu du 6 avril dernier, le Conseil régional appelait « l’État et ses opérateurs à un strict respect, tant en Basse qu’en Haute-Bretagne, de la toponymie régionale » et demandait « à La Poste d’engager autant que de besoin les concertations locales avec les maires, l’Office public de la langue bretonne ou l’Institut du gallo afin de préserver et valoriser ce patrimoine immatériel irremplaçable ». D’ailleurs, le vœu rappelait aussi que « la Convention spécifique 2022-2027 pour la transmission des langues de Bretagne et le développement de leur usage dans la vie quotidienne prévoit expressément l’obligation, pour les opérateurs publics de réseaux ou de distribution de courrier, de veiller au respect de l’intégrité du patrimoine toponymique dans le cadre des opérations de nommage de voies et de numérotations d’édifices ».
Mais plus de six mois ont passé et la chasse aux toponymes bretons continue…
Des maires de Bretagne continuent en effet à recevoir la visite d’agents commerciaux qui leur enjoignent de « normaliser l’adressage de leur commune » en remplaçant les toponymes traditionnels, souvent séculaires et parfois uniques, par des dénominations plus conformes à ce qui peut se trouver généralement en France.
Mais la colère gronde dans les campagnes contre ce qui est ressenti comme une démarche qui revient à effacer toute une mémoire populaire, une mémoire qui fait toute la différence entre un espace géographique indifférencié et un territoire particulier, un territoire naturel mais aussi humanisé comme peut l’être un paysage de bocage. Ces dernières semaines, dans une seule commune du Trégor Finistérien, face à l’effacement programmé de plusieurs dizaines de toponymes dans les certificats d’adressage, une pétition a recueilli plus d’un millier de signatures.
Monsieur le Président, la Région doit agir et la Région peut agir. Elle dispose de plusieurs outils qu’elle pilote, comme Mégalis, l’Office public de la langue bretonne et l’Institut du gallo, des outils qui disposent de ressources humaines et documentaires tel que le « Guide d’accompagnement à la dénomination et à la numérotation des voies » co-édité par Ofis ar brezhoneg et le Service d’information géographique du Pôle métropolitain du Pays de Brest. Ce guide répond aux exigences de sécurité des personnes et de facilitation des livraisons qui ont motivé la disposition de la loi 3DS, en associant à chaque adresse un numéro, un point GPS et des références cadastrales. Ce sont des ressources existantes sur lesquelles chaque commune de Bretagne peut s’appuyer pour préserver son patrimoine toponymique mais aussi le faire vivre, y compris dans le cadre de nouveaux aménagements urbains et de nouveaux équipements. Encore faut-il en assurer largement le porter à connaissance.
Aussi, n’attendant plus rien de l’État et de ses opérateurs directs ou indirects, nous vous posons simplement cette question Monsieur le Président. Seriez-vous disposé :
– d’une part à inscrire la question de la préservation de la toponymie bretonne à l’agenda de la Conférence territoriale de l’action publique ?
– et d’autre part à écrire à chaque maire de Bretagne pour porter à sa connaissance l’importance que le Conseil régional accorde à cette question ainsi que les outils et ressources qui sont à sa disposition en Bretagne pour aider sa commune dans cette tâche d’intérêt général ?