
Autonomie d’une Bretagne réunifiée
Monsieur le Président,
Le 8 avril 2022, 75 des 83 membres du Conseil régional de Bretagne adoptaient un vœu à l’adresse des pouvoirs exécutif et législatif de la République française, intitulé « Pour une Bretagne autonome dans une République des territoires aux fondations démocratiques fortifiées ». Ce vœu rappelait également au Gouvernement « sa demande d’engager, à l’horizon 2024, le processus législatif qui permettra une consultation sur le processus de réunification de la Bretagne ».
En juillet 2022, vous avez proposé aux groupes politiques qui avaient adopté ce vœu de former un groupe de travail transpartisan dans le but de traduire cette délibération en propositions concrètes et confié sa présidence au premier vice-président de notre assemblée.
Dans un premier rapport d’étape, que notre assemblée plénière a examiné lors de la session d’octobre 2023, le groupe de travail transpartisan a établi avec clarté que l’autonomie réelle d’un territoire suppose qu’à des compétences données correspondent un pouvoir fiscal et financier ainsi qu’un pouvoir législatif et réglementaire. Or, en l’état du droit constitutionnel en France, un tel pouvoir normatif n’est pas permis à la Bretagne. Une révision de la Constitution s’impose donc pour le rendre possible.
Il se trouve que le Président de la République a engagé publiquement un processus de révision de la Constitution qui porte sur plusieurs questions et dont il souhaite qu’il puisse aboutir favorablement au cours de l’année 2024. Dans un discours prononcé devant l’assemblée de la Collectivité de Corse le 28 septembre 2023, il s’est engagé à soutenir la création dans la Constitution d’un article dédié à la Corse. Cet engagement présidentiel intervient dans un contexte qui a d’abord vu l’ouverture dès 2022 d’un processus de négociation entre le Gouvernement et les élu.e.s de la Corse autour de l’objectif d’une accession de l’île à un statut d’autonomie pleine et entière puis l’adoption, le 15 juillet 2023, par 73 % des membres de l’assemblée de la Collectivité de Corse d’un projet d’autonomie interne ayant vocation à se traduire en droit dans une loi organique. Ce dernier vote est intervenu à l’issue d’une période de plusieurs mois au cours de laquelle le président de l’exécutif de la Collectivité de Corse était allé à la rencontre des élus locaux et de la population corse elle-même.
Ces étapes de concertation, qui sont autant de préalables nécessaires pour assurer le caractère démocratique d’une réforme aussi importante, n’ont pas eu lieu en Bretagne. Dès lors, il serait vain de réclamer pour la Bretagne la même chose que la Corse.
Pour autant, le Président de la République a également ouvert la porte à une réforme de la décentralisation d’une portée plus globale. À ce titre il a confié au député Eric Woerth une mission dont les conclusions devraient être rendues publiques en mai.
C’est dans ce contexte qu’il convient d’apprécier l’initiative de plusieurs spécialistes du droit public, dont l’ancien ministre de la Justice et garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas, ancien membre de notre assemblée, consistant à proposer une révision de l’article 73 de la Constitution, qui relève du titre XII portant sur les collectivités territoriales et concerne actuellement les seuls départements et régions d’outre mer. La rédaction actuelle octroie à ces territoires ultramarins la possibilité, en dehors du champ des compétences régaliennes, je cite de « fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire ». Faisant le constat du blocage d’un système hypercentralisé et bureaucratique qui participe à la dislocation de la société, Jean-Jacques Urvoas et ses collègues juristes proposent d’étendre l’application de l’article 73 à l’ensemble des collectivités et de leur permettre, sur la base du volontariat, d’exercer de plein droit un pouvoir normatif dans le champ de leurs compétences.
Monsieur le Président, pouvez-nous dire si vous êtes disposé à soutenir cette proposition auprès du Président de la République, du Premier ministre et des parlementaires et à la relayer auprès de Régions de France d’une part et des autres collectivités bretonnes d’autre part ? Si oui, quelles initiatives entendez-vous prendre ?