
Breizh Up Pêche
Le renouvellement de la flottille de pêche bretonne et sa décarbonation revêtent tout à la fois des enjeux climatiques, écologiques, économiques et sociaux :
Climatiques et écologiques : puisqu’il s’agit de se déprendre des énergies fossiles, très émettrices de gaz à effet de serre, en investissant dans des bateaux qui utiliseront de nouveaux engins de pêche, plus sobres et qui minimiseront l’impact sur les milieux marins, notamment par la sélectivité de leur capture.
Enjeux économiques ensuite : Il faut apporter une solution alternative au gasoil, dont les coûts ont explosé et rogné encore plus les capacités financières d’un secteur déjà éreinté économiquement et de ce fait « empêché » dans sa capacité à investir, donc à renouveler ou moderniser une flottille qui est vieillissante chez nous en Bretagne. Le gasoil est une ressource épuisable, non renouvelable, qui met les entreprises de pêche dans une situation de dépendance. C’est une impasse pour toute notre économie.
Enjeux Sociaux enfin : Renouveler la flottille, c’est aussi améliorer les conditions de travail sur les bateaux, à commencer par la sécurité des travailleurs. Pour le groupe Breizh a-gleiz, le progrès social doit être au cœur des transformations technologiques. Il s’agit des conditions de travail et d’une juste rémunération du travail des marins-pêcheurs. Or, l’augmentation des coûts du carburant a trop souvent conduit à envisager les salaires comme une variable d’ajustement. La colère dans les ports est forte. Le cap de la décarbonation doit être l’occasion d’asseoir des modèles économiques et sociaux durables dans le secteur de la pêche, rémunérateurs pour les équipages et attractifs pour les nouvelles générations.
Venons-en au bordereau lui-même et à votre proposition de créer un fonds de co-investissement Breizh Up Pêche.
Notre groupe est favorable à l’action volontariste de la Région Bretagne en matière de décarbonation et de renouvellement de la flottille dans le secteur de la pêche et à votre proposition d’outils d’ingénierie financière.
Cependant, nous voulons dire l’importance d’un cadrage solide et clair de cet outil. Or, le constat que nous faisons ici, c’est que ce cadrage est lacunaire.
Premièrement, nous avons besoin d’évaluation pour mieux dimensionner l’outil et ses cibles.
Le fait que la proposition d’un Breizh Up Pêche découle des feuilles de route globales votées lors des dernières sessions ne vous dispensait pas d’une évaluation et d’une analyse approfondies du sujet de la décarbonation de la flottille bretonne. On n’empile pas des briques sans mortier et ciment entre elles !
Depuis au moins 15 ans, ont été engagées des expériences de réduction de la consommation du gasoil sur les bateaux, par le changement des engins, de la carène, par une autre manière d’entrainer les hélices…etc… avec des réductions à 5%, 10%, 15 %, ces efforts montrant leurs limites.
Plus récemment, la région Bretagne a lancé un appel à manifestation d’intérêt qui accompagne les projets ESTEBAM et PILOTHY sur l’utilisation de l’hydrogène pour des barges de conchyliculture ou navire de pêche. Où en sommes-nous ? S’agira-t-il de financer par le fonds de co-investissement les prototypes à mettre à l’eau ?
Nous mesurons la difficulté actuelle d’avoir une pleine maitrise du sujet dans un moment où les pistes se cherchent, où les technologies ne sont pas matures, où les applications sont variées selon les typologies et les usages et où la mise en œuvre sera progressive et pas toujours, loin de là, 100 % décarbonée dès le départ.
Pour autant, nous aurions souhaité nous baser sur un état des lieux des démarches actuelles pour apercevoir les premiers projets que vous proposerez de soutenir à travers ce fonds de co-investissement.
Dans cette même idée d’évaluation, il est surprenant que le bordereau ne fasse pas référence à l’étude de faisabilité et de préfiguration de ce fonds de co-investissement annoncé en février dernier dans cet hémicycle. A-t-elle été menée ? A-t-elle abouti ? Quelles en sont les conclusions ?
Cette absence d’évaluation renforce notre interrogation sur le dimensionnement de l’outil au regard de l’ampleur des investissements à mener: 1200 navires bretons à décarboner dans les 10 ans et 3 millions d’euros mis sur la table, qui appellent des fonds privés, est-ce suffisant ou seulement une amorce ?
Cette première série de remarques nous amène à voir une forme de précipitation dans la présentation de ce bordereau. Le timing nous semble avant tout guidé par votre besoin d’affirmer politiquement votre soutien à la pêche artisanale, après la polémique née dans cet hémicycle à partir de février dernier, qui avait amené le président à présenter un amendement en cours de session.
J’en viens justement à cette notion de pêche artisanale qui est un deuxième point de précisions attendu. La référence à la définition européenne des PME, c’est-à-dire des entreprises qui peuvent aller jusqu’à 250 salariés, est, le moins que l’on puisse dire, très large. Qu’entend-on par pêche artisanale en Bretagne ? Cela mérite un cadrage plus précis sur la taille des entreprises, leur propriété, la notion de capitaine embarqué et un regard exigeant sur le partage de la rente économique entre armateur et équipage.
Nous l’avons dit à la dernière session : nous n’opposons pas la pêche côtière à la pêche hauturière, complémentaires, notamment pour répondre à la montée des importations de produits de la mer et pour limiter l’effort de pêche sur la bande côtière. Mais pour notre groupe, ce fonds devra veiller à soutenir la petite pêche, celle des marins pêcheurs, propriétaires et embarquant sur leur bateau, celle qui a le moins de ressources financières à sa disposition et le moins de capacités à mobiliser des financements privés. Tout cela, sans négliger les réticences que peuvent avoir certains patrons pêcheurs vis à vis d’un soutien public à leur activité.
Il est aussi tout important de préciser la notion de pêche durable qui ne peut être réduite à une dimension écologique mais comprend les dimensions économiques et sociales. A ce titre, les travaux du programme Transipêche paru en janvier 2024, portés notamment par l’institut agro de Rennes et déclinant avec précision à la fois l’empreinte environnementale et les performances socio-économiques des bateaux de pêche nous apparaissent constituer une base, susceptible d’apporter de la robustesse aux principes de pêche durable et à la démarche RSE, à laquelle vous faites aussi référence et qui peut manquer d’exigences.
Par conséquent, nous trouvions pertinent l’amendement initial de notre collègue Ronan Pichon qui posait le principe d’élaboration du cadre stratégique de façon collégiale, avec les professionnels, les scientifiques, les associations environnementalistes. Nous pensons qu’il faut y associer également l’Institut maritime de prévention qui assure une mission d’amélioration des conditions de travail et de vie des marins professionnels.
M.Cueff, vous dites que cette feuille de route est évolutive. La seule conclusion possible est la nécessité d’une concertation permanente sur ce sujet, pour déboucher sur un cadre plus précis, que le bordereau et les documents déjà votés ne l’indiquent .
En conclusion, parce que nous défendons la filière pêche en Bretagne, poumon économique et social de nombreux territoires côtiers, avec les pêcheurs qui en sont les premiers maillons, parce que le secteur appelle une grande mobilisation et des signaux d’espoir, nous demandons que les élus régionaux dans leur diversité puissent continuer à être étroitement associés à la mise en œuvre de ce fonds de co-investissement et à son évaluation.